381278 2505 2c623d64b3d9682e8396afa34014de30 Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà maintenant trois ans, lors de l’examen de la dernière loi d’orientation agricole, nous décidions, par un amendement de notre collègue Gérard César, vivement soutenu par le président Emorine et notre ancien collègue Dominique Mortemousque, auteur d’un excellent rapport, de prévoir l’extension progressive de l’assurance récolte à l’ensemble des productions. Nous nous étions alors mis d’accord – et une intervention de M. Dominique Bussereau, alors ministre de l’agriculture, l’avait précisé explicitement – pour conserver à l’assurance récolte son caractère facultatif.Faut-il aujourd’hui aller au-delà, en la rendant obligatoire ? C’est ce à quoi tend la proposition de loi de nos collègues Yvon Collin et Jean-Michel Baylet.Avant de vous faire part des conclusions de la commission, qui a examiné cette proposition la semaine dernière, je voudrais rappeler en quelques mots le contexte dans lequel elle s’inscrit.Les exploitations agricoles vivent sous la menace constante d’un accident climatique : coup de grêle ou de gel, période de sécheresse, excès d’humidité, inondation, etc. Le Fonds national de garantie des calamités agricoles, le FNGCA, a longtemps été l’unique moyen d’indemniser les agriculteurs. Il connaît cependant certaines limites : longueur des délais d’indemnisation, nécessité d’une reconnaissance du caractère de calamité agricole, faiblesse des montants versés. Aussi, monsieur le ministre, avez-vous décidé très opportunément de « sortir » progressivement certaines productions couvertes par le fonds et de renvoyer, pour leur couverture, à des mécanismes assurantiels.En dépit des inconvénients que présente le FNGCA et quelles que soient ses imperfections, il joue et devra continuer à jouer un rôle très important. On pourra certes retirer certaines filières du fonds si les exploitants trouvent effectivement des produits d’assurance adaptés – ce sera d’ailleurs le cas des grandes cultures dès 2009 –, mais on ne saurait le supprimer complètement ; il est en effet seul à même de couvrir les pertes de fonds ou les cultures non assurables. Prenons grand soin de ne pas sortir trop vite du fonds les secteurs de l’arboriculture, de la viticulture et des légumes avant que les assurances récoltes les concernant n’aient été totalement étudiées, tant en ce qui concerne leur mécanisme que le nombre de contrats souscrits. C’est de toute manière un outil à conserver et, à mon avis, il doit constituer un « filet de sécurité » réactivable ponctuellement, en cas de besoin.Je voudrais vous présenter brièvement le système, à mes yeux indispensable, existant aux États-Unis et appelé « assurance catastrophe » : celui-ci indemnise les agriculteurs uniquement en cas de « coup dur », c’est-à-dire de pertes supérieures à 50 % du rendement historique de l’exploitation. L’exploitant ne paie pas de prime d’assurance, celle-ci étant entièrement prise en charge par l’équivalent du ministère de l’agriculture.Parallèlement au FNGCA, se sont développés depuis longtemps des produits d’assurance contre la grêle, le gel, puis, plus récemment, contre plusieurs risques combinés – grêle, gel, sécheresse, inondation ou excès d’eau, ainsi que vent –, et ce avec le soutien de l’État, voire des collectivités locales, qui versent une partie des primes d’assurance à des taux variant selon les productions et en fonction de leur situation économique.À la suite du décret du 14 mars 2005 et de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006, l’assurance récolte a démarré en fanfare dans notre pays, avec environ 60 000 contrats signés. Sa progression a ensuite été beaucoup plus lente, puisque moins de 70 000 contrats sont aujourd’hui souscrits, trois ans après le lancement du dispositif.L’assurance récolte couvre désormais plus du quart des surfaces assurables, avec des différences notables selon les productions : près de 30 % pour les grandes cultures, 12 % pour la viticulture – celle-ci est du reste en progression à cet égard –, mais moins de 1 % pour les cultures fruitières – et elles seraient même en régression !L’assurance récolte présente de nombreux avantages, notamment par rapport au système d’indemnisation classique. Elle permet en effet des remboursements plus rapides et plus élevés, ainsi qu’une gestion des risques plus responsable de la part de l’agriculteur.Le soutien résolu des pouvoirs publics à son développement est une condition de son succès. Les risques sont tels, en effet, qu’un grand nombre d’exploitants ne pourraient pas payer la prime d’assurance en l’absence de soutien public.Par ailleurs, il est indispensable que l’État s’engage et donne de nouvelles possibilités de réassurance pour permettre le développement des secteurs déjà couverts ainsi que celui d’autres secteurs, dont l’élevage.Le Président de la République a justement annoncé jeudi dernier qu’il demanderait que la Caisse centrale de réassurance, organisme qui bénéficie de la garantie de l’État, intervienne afin de faciliter l’assurance des crédits aux entreprises. Or un engagement similaire au profit de l’assurance récolte est demandé depuis longtemps par les milieux agricoles comme par les professionnels du secteur.Je voudrais à ce sujet saluer l’action du Gouvernement et surtout votre propre action, monsieur le ministre. À Bruxelles, ces derniers mois, à l’occasion du « bilan de santé » de la PAC, vous avez en effet défendu avec beaucoup d’intelligence et d’opiniâtreté notre modèle agricole. Vous avez également amorcé le débat sur l’après-2013, voilà quelques semaines, à Annecy. Vous avez d’autant plus de mérite que la partie n’est pas facile dans les négociations pour notre pays, bien qu’il assume la présidence de l’Union.Grâce à votre insistance, en particulier, l’article 69 du règlement du Conseil sur les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs devrait être révisé de telle manière que l’assurance récolte bénéficie d’importants soutiens communautaires. Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’actuel article 69 permet aux États membres de réattribuer jusqu’à 10 % des aides qu’ils perçoivent au titre du premier pilier pour financer des mesures liées à la protection ou à l’amélioration de l’environnement, ainsi qu’à l’amélioration de la qualité et de la commercialisation des produits agricoles. Or, aux termes du nouvel article 68, les États seraient autorisés à réallouer une partie – 2, 5 % au maximum – de ces 10 % sous la forme de contributions au paiement des primes d’assurance récolte. Le nouvel article 69 prévoit les conditions de ce soutien : 60 %, voire 70 % dans certains cas, de la prime seraient pris en charge par les fonds publics, dont les deux tiers par des financements communautaires.Cette mesure, si elle venait à être finalement adoptée – et nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour œuvrer en ce sens – permettrait de renforcer très substantiellement le soutien à l’assurance récolte dès 2010, date de son entrée en application. Par ailleurs, il faut mentionner que le nouvel article 70 permet aux États membres de financer des fonds de mutualisation assurant le paiement aux agriculteurs d’indemnités destinées à couvrir les pertes économiques découlant de l’apparition d’un foyer de maladie animale ou végétale.Le principe d’une extension de l’assurance récolte fait l’objet, j’ai pu le constater, d’un accord assez large chez tous les acteurs concernés. Il reste à déterminer comment atteindre cet objectif. La proposition de loi qui est soumise à votre examen propose de la rendre obligatoire.En effet, un système d’assurance ne fonctionne bien que lorsque les risques sont mutualisés entre le plus grand nombre de personnes. Si les seuls qui s’assurent sont ceux qui présentent un risque important, les primes vont être très élevées et même exorbitantes : les assureurs font évidemment un calcul économique et modèlent les primes sur le risque à couvrir. Si tout le monde participe, le coût pour chacun peut être beaucoup moins élevé. C’est la logique suivie par nos collègues MM. Collin et Baylet, qui évoquent dans leur exposé des motifs un « principe de solidarité ».Pour séduisante que paraisse cette proposition, il me semble que la solution n’est pas si simple que cela. Il faut bien voir que la mise en place d’une assurance récolte obligatoire pose un certain nombre de problèmes. J’en mentionnerai quatre.En premier lieu, les assurances obligatoires sont une « espèce » très répandue chez nous. Les juristes en ont compté plus de quatre-vingt-dix dans le droit français. Le fondement en est, presque toujours, la responsabilité à l’égard d’un tiers. Quand vous conduisez une voiture, vous devez être assuré parce que, si vous êtes responsable d’un accident, il faut que la victime soit indemnisée, même si les frais dépassent vos capacités financières ; c’est là que l’assureur entre en jeu.En deuxième lieu, nous allons bientôt examiner le projet de loi de finances pour 2009, et l’on sait que les marges budgétaires de l’État sont extrêmement réduites. Or le financement d’une assurance récolte représente 32 millions d’euros aujourd’hui, mais elle représenterait sans doute dix fois plus si tout le monde devait être assuré, et cela sans compter le secteur de l’élevage.Au demeurant, puisqu’on parle de solidarité, si certains agriculteurs ne s’assurent pas aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas solidaires à l’égard de leurs collègues et qu’ils se reposent sur le FNGCA, c’est tout simplement parce que les assureurs ne sont pas en mesure de proposer aujourd’hui des produits d’assurance adaptés à toutes les situations. Je pense en particulier aux cultures fourragères, mais aussi à de nombreux arboriculteurs, qui devraient payer des primes d’assurances insupportables.En troisième lieu, une obligation d’assurance signifie de nouvelles formalités, de nouvelles procédures de contrôle, venant s’ajouter à toutes celles qui existent déjà, véritable fardeau pour les exploitants. Il faudrait en outre vérifier que certains ne trichent pas, et même sans doute prendre des sanctions ; mais lesquelles ? Tous ces points seraient très difficiles à régler et peuvent difficilement l’être dans le cadre de cette proposition de loi.En dernier lieu, je m’appuierai sur les exemples des États-Unis, où le président Emorine s’est rendu en 1997 avec notre collègue M. Deneux pour étudier notamment cette question, et de l’Espagne, que M. Mortemousque a également très bien décrit. Ces pays sont très en avance sur la France en matière d’assurance récolte. Pour autant, ils ne l’ont pas rendue obligatoire. Les personnes que j’ai auditionnées n’ont pas su me citer un seul pays dans le monde où l’assurance récolte soit obligatoire. D’ailleurs, en Espagne, qui est en quelque sorte le modèle européen, l’État dépense dix fois plus qu’en France pour l’assurance récolte, mais la moitié seulement des exploitations sont assurées ; il semble que l’on se trouve face à un plafond.D’une manière générale, l’agriculture est aujourd’hui une activité entrepreneuriale. Évitons d’imposer aux exploitants de nouvelles obligations sans avoir la certitude qu’elles vont réellement améliorer la situation.L’ensemble de ces éléments m’a conduit, en tant que rapporteur du texte, à faire état de conclusions négatives à son égard et notre commission à suivre lesdites conclusions. Il n’en reste pas moins que je juge cette proposition de loi bienvenue aujourd’hui en ce qu’elle permet de faire le point sur ce dossier alors que se fait le basculement entre le système du FNGCA et celui de l’assurance récolte et que vous le défendez, monsieur le ministre, devant les instances de Bruxelles, où il devrait faire l’objet d’un accord le 19 novembre prochain.Nous souhaitons donc saisir l’occasion de ce débat pour vous appuyer dans ces négociations, monsieur le ministre, mais également pour vous rappeler qu’un engagement ferme des pouvoirs publics et une visibilité à long terme sur l’assurance, ainsi que sur la réassurance, sont les seuls facteurs de réussite pour le développement de l’assurance récolte. Pour aller plus loin aujourd’hui, la France doit pouvoir accorder, comme les États-Unis ou l’Espagne, la garantie de l’État par l’intermédiaire, par exemple, de la Caisse centrale de réassurance.Notons, à regret, que dès 2009, le taux de subvention par l’État de la prime d’assurance pour les grandes cultures passera de 35 % à 25 % ; on le comprend à la vue des prix du marché pour les céréales l’année dernière, mais la situation est aujourd’hui bien différente puisque leur cours s’est replié de manière catastrophique ; les cours du maïs sont ainsi aujourd’hui inférieurs de moitié à ceux de l’année dernière.Le signal donné est en revanche positif pour les productions arboricoles et viticoles, dont le taux de soutien devrait être réévalué à 40 %. On peut par ailleurs noter, avec satisfaction, la bonification de 5 % pour les jeunes agriculteurs, ainsi que l’apport de certaines collectivités locales qui aident déjà à la prise en compte de ces risques. En outre, le relèvement de la DPA, la déduction pour aléas, constitue un autre signal positif, même s’il est à nuancer avec la diminution de la déduction pour investissements.En conclusion, après avoir remercié les auteurs de la proposition de loi de susciter très utilement la discussion sur l’assurance récolte, je vous invite cependant, mes chers collègues, à ne pas l’adopter, pour les raisons que j’ai exposées. Bien entendu, cela ne doit pas nous empêcher, bien au contraire, de faire le point avec vous, monsieur le ministre, sur l’extension de l’assurance récolte ni d’échanger sur les perspectives de son développement.Permettez-moi enfin, monsieur le ministre, de vous remercier personnellement de votre engagement pour l’agriculture, et de remercier aussi tous ceux qui se sont battus pour l’assurance récolte. 5520 http://www.senat.fr/seances/s200810/s20081029/s20081029_mono.html#par_707 940 14067 loi 2008-10-29 430 rapporteur 2011-11-06 06:42:12 2011-11-06 06:42:12 http://www.nossenateurs.fr/seance/940#inter_2c623d64b3d9682e8396afa34014de30